Le cygne
Il glisse sur un bassin, comme un traîneau blanc, de nuage en nuage. car il n'a faim que de nuages floconneux qu'il voit naître, bouger et se perdre dans l'eau. C'est l'un deux qu'il désire. Il le vise du bec et il plonge tout à coup son col vêtu de neige.
Puis, tel un bras de femme sort d'une manche, il le retire, il n'a rien.
Il regarde: les nuages effarouchés ont disparu.
Il ne reste qu'un instant désabusé, car les nuages tardent à revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de l'eau, en voici un qui se reforme.
Doucement, sur son léger coussin de plumes,le cygne rame et s'approche. Il s'épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu'il mourra, victime de cette illusion, avant d'attraper un seul morceau de nuage.
Mais qu'est ce que je dis?
Chaque fois qu'il plonge, il fouille du bec la vase nourrissante et ramène un ver. Il engraisse comme une oie.
Histoires naturelles
Jules Renard